mardi 6 décembre 2005

Tout le monde podpode

[chronique "La mauvaise humeur de Lucien, à paraître dans un prochain magazine]
foule2.jpgNous
étions déjà enfouis, paralysés, sous l’avalanche des écrits de blogs et
autres wikis qui ont ajouté leur masse à celle déjà existante des
milliards de pages web. On en prenait plein les yeux de toutes ces
lignes publiées à longueur d’écran, cherchant désespérément une lueur
d’intérêt dans un abîme de notes intimes désespérantes. Eh bien
maintenant on va en prendre plein les oreilles avec la nouvelle mode du
podcastmachin. Et puis après on en prendra plein les yeux et plein les
oreilles en même temps avec la nouvelle nouvelle mode du
vidéopodcastmachin. Les 50 millions de blogueurs du monde entier (qui
sont peut-être devenus 100 millions entre le moment où j’écris et celui
où je suis publié) se prenaient déjà pour des écrivains, des
journalistes, voire même des encyclopédistes.
« En biologie, il y a un mot spécial que nous utilisons pour dire " stable " : c’est " mort ". »
Jack Cohen,  auteur de « The Collapse of Chaos » 

Ils se prennent maintenant pour des reporters radio et des cinéastes !
Nous voila bien ! J’attends avec impatience le
karaokévidéopodcastmachin parce qu’il n’y a pas de raison qu’on ne soit
pas tous des musiciens et des chanteurs. Et puis quelqu’un va inventer
le bidule automate, genre Mireille Mathieu, qui écrit, parle, chante,
filme et dessine tout seul, c’est sûr.
Peut-être même qu’il existe déjà…


La vraie pollution qui nous guette, ce n’est pas le trou dans l’ozone,
c’est la bombe atomique de la communication « many to many », comme on
dit, - tout le monde cause à tout le monde par tous les moyens et à
tout moment, bref, tout le monde podpode - qui va nous recouvrir d’une
nappe brumeuse de caractères, signes, dessins, sons, images émis par
tout un chacun dans son petit coin et transmis immédiatement au monde
webisé eberlué.
Maman, au secours ! Plus moyen de se planquer.
Déjà, depuis longtemps, j’avais remarqué que c’était toujours quand
j’étais aux toilettes que mon mobile se mettait à sonner, j’aurais dû
me méfier. C’est comme çà que je suis devenu constipé. Maintenant,
c’est pire, je  n’ose plus allumer mon écran, j’ai peur, je le
vois comme une bouche énorme prête à vomir son magma infernal. Je vais
bientôt fermer définitivement mon courrier électronique, j’ai 100 spams
pour un vrai message, que je ne vois plus, perdu qu’il est dans son
océan de parasites. J’ai éteint mon téléphone, enlevé les piles de ma
radio, débranché ma télé, désynchronisé mon PDA. Mais rien n’y fait, on
me parle encore, on me dit : « Dis donc, t’as vu le blog de Miss France
? » et j’y vais forcément, je suis addict, accro, nerveux, impatient.
Et que c’est beau ! Mon Dieu, je suis perdu !
Quand je serai bien
vieux, le soir à la veillée, je dirai à mes petits-enfants qui feront
semblant de m’écouter tout en jouant avec leur dernier podmachin
incrusté dans la main : « Il fut un temps où les gens parlaient peu,
s’écoutaient longtemps ; où l’on s’occupait davantage de son voisin que
du webeur du bout du monde ; où l’on se souriait en rêvant… » 
Puis, quand ils auront cessé de m’écouter, c’est-à-dire rapidement, je
regarderai en douce mon dernier PDAmachin inscrusté dans ma main pour
chercher fiévreusement sur internent la pilule miracle qui fait
rajeunir. Mais, par pitié, sans remonter le temps !
source image
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