mardi 13 décembre 2005

Sans trêve ni merci

Fuir ! Fuir d’un bout à l’autre de la Chine. Fuir d’un bout à l’autre
de Pékin. Fuir d’un bout à l’autre du monde. D’Orient en Occident !
C’est dans ce mouvement ininterrompu, dans ce tourbillon perpétuel,
pris dès ses origines et poursuivi jusque dans son ultime
essoufflement, que s’écrit le dernier roman de Jean-Philippe Toussaint
:
Fuir - Prix Médicis 2005.
Emporté de la première à la dernière page dans ce « fuir » éperdu, le
lecteur suit le rythme effréné qui s’est emparé du narrateur. En train,
en moto, en avion, en bateau, en auto, à la nage. Sans que l’on sache
ni comprenne vraiment ce qui a déclenché ce « fuir ». Narrateur et
lecteur croient un instant qu’une pause va avoir lieu, une trêve ! Et
qu’ensemble, conviés aux rituels de l’amour, ils vont pouvoir reprendre
souffle. Illusoire attente, sitôt amorcée, sitôt déçue. La course
reprend de plus belle, dans la souffrance et la douleur, sans que l’on
sache ni comprenne vraiment ce qui la motive, ce qui la régit. Du
pourquoi et du comment des choses, nul ne sait rien. Jean-Philippe
Toussaint, en grand prestidigitateur de l’écriture romanesque héritée
du Nouveau Roman, « gomme » ici toutes les conventions du genre. Et ne
se soumet à aucune. Pas même à celle de l’histoire, inexistante et
pourtant à la fois tendue à l’extrême et resserrée à l’extrême. Seul le
narrateur-héros, pareil à la boule de bowling (un épisode du roman)
qu’un geste précis lance sur sa trajectoire, répond aux nécessités d’un
récit qui se recompose autour et avec lui. Équilibriste malmené et
passif, le « héros » est  pris entre deux femmes, Li Qi la
Chinoise, Marie la Française. Entre deux amours. Celui de la rencontre
fortuite dans les couloirs crasseux d’un train chinois et celui des
retrouvailles dans l’opacité saline et régénératrice de la Méditerranée.
Défait, perdu/éperdu, disloqué, insaisissable, indifférent, absent,
étranger aux choses et à lui-même, tel apparaît le narrateur. Et le peu
que l’on sait de lui, de ses peurs liées à l’instant vécu, au
provisoire, à l’éphémère, se lit à travers des monologues intérieurs
menés de main de maître. Dans un style indirect libre brillant, d’une
efficacité absolument redoutable. La force du roman de Jean-Philippe
Toussaint réside tout entière dans l’écriture, brillantissime, de
l’auteur. Une écriture fulgurante qui laisse imprimé dans la mémoire du
lecteur, pantelant et définitivement admiratif, le souvenir de quelques
bellissimes pages. Sublimes d’une bouleversante beauté.
Angèle Paoli - Terres de femmes


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