dimanche 25 décembre 2005

Ils ne font plus les même miroirs qu’autrefois.

" L’ÂGE DES AUTRES....
IL ME SEMBLE qu’ils fabriquent des escaliers plus durs qu’autrefois. Les marches sont plus hautes, il y en a davantage. En tout cas, il est plus difficile de monter deux marches à la fois. Aujourd’hui, je ne peux en prendre qu’une seule.
A noter aussi les petits caractères d’imprimerie qu’ils utilisent maintenant. Les journaux s’éloignent de plus en plus de moi quand je les lis : je dois loucher pour y parvenir. L’autre jour, il m’a presque fallu sortir de la cabine téléphonique pour lire les chiffres inscrits sur les fentes à sous. Il est ridicule de suggérer qu’une personne de mon âge ait besoin de lunettes, mais la seule autre façon pour moi de savoir les nouvelles est de me les faire lire à haute voix – ce qui ne me satisfait guère, car de nos jours les gens parlent si bas que je ne les entends pas très bien.
Tout est plus éloigné. La distance de ma maison à la gare a doublé, et ils ont ajouté une colline que je n’avais jamais remarquée avant. En outre, les trains partent plus tôt. J’ai perdu l’habitude de courir pour les attraper, étant donné qu’ils démarrent un peu plus tôt quand j’arrive.
Ils ne prennent pas non plus la même étoffe pour les costumes. Tous mes costumes ont tendance à rétrécir, surtout à la taille. Leurs lacets de chaussures aussi sont plus difficiles à atteindre.
Le temps même change. Il fait froid l’hiver, les étés sont plus chauds. Je voyagerais, si cela n’était pas aussi loin. La neige est plus lourde quand j’essaie de la déblayer. Les courants d’air sont plus forts. Cela doit venir de la façon dont ils fabriquent les fenêtres aujourd’hui.
Les gens sont plus jeunes qu’ils n’étaient quand j’avais leur âge. Je suis allé récemment à une réunion d’anciens de mon université, et j’ai été choqué de voir quels bébés ils admettent comme étudiants. Il faut reconnaître qu’ils ont l’air plus poli que nous ne l’étions ; plusieurs d’entre eux m’ont appelé « monsieur » ; il y en a un qui s’est offert à m’aider pour traverser la rue. Phénomène parallèle : les gens de mon âge sont plus vieux que moi. Je me rends bien compte que ma génération approche de ce que l’on est convenu d’appeler un certain âge, mais est-ce une raison pour que mes camarades de classe avancent en trébuchant dans un état de sénilité avancée ? Au bar de l’université, ce soir-là, j’ai rencontré un camarade.
Il avait tellement changé qu’il ne pas reconnu.
« tu as un peu grossi, Georges, ai-je remarqué.
- C’est la nourriture actuelle, répondit Georges. Elle fait engraisser.
- Il y a combien de temps que nous ne nous sommes pas vu, Georges ? ça doit faire plusieurs années…
- Je crois que la dernière fois c’était après les élections, dit Georges.
- Quelles élections ? »
Georges réfléchit un moment.
« Celles de Coolidge », dit-il.
Je demandai deux autres whiskies.
« As-tu remarqué, dis-je, que ces Martinis sont beaucoup moins forts qu’ils n’étaient ?
- Ah ! ce n’est plus comme au bon vieux temps de la prohibition, me répondit Georges. Tu te rappelles quand nous commandions très fort de la fleur d’oranger pour boire en douce deux bonnes fines ? Ah !
- Mais dis donc…Je me rappelle aussi que tu étais un fameux avaleur de pâtisseries, Georges ! Tu y tâtes toujours ?
- Non je suis trop gras…La nourriture actuelle est trop riche.
- Je sais, tu viens de me le dire il y a un instant…
- J’ai dit ça ?
- Que dirais-tu d’un autre whiskies ? Tu as remarqué qu’ils ne sont pas aussi forts qu’autrefois ?
- Dis donc…Tu me l’as déjà dit…
-Ah !… »
Ce matin en me rasant, je pensais à ce pauvre vieux Georges. Je m’arrêtai un moment et regardai mon image dans la glace.
Ils ne font plus les même miroirs qu’autrefois. "

"Un texte de COREY FORD: Essayiste, auteur dramatique, journaliste, colonel de l’U.S.Air Force pendant la guerre, Corey Ford, né à New York, en 1902, excelle dans la peinture de la vie courante et la satire de la vie sociale."
Choisi par Roland

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