mardi 25 octobre 2005

Ce monde sans visibilité

[Chronique "La Mauvaise Humeur de Lucien", à paraître dans un prochain magazine]
« L’expérience est une lanterne accrochée dans le dos qui n’éclaire que le chemin parcouru. » Proverbe chinois
Vous avez remarqué ? On n’a jamais autant, à la fois, étudié le passé et éludé l’avenir. Dans les TIC, légèrement taclés ces temps-ci, c’est particulièrement flagrant : il sort au moins une étude par jour pour nous apprendre comment ils ont fait pour… ce qu’ils pensent de…, combien ils ont dépensé dans… Les sondeurs sondent des milliers de personnes de par le monde, patrons, directeurs informatiques, experts de tout poil pour qu’ils nous disent, pour très cher, ce qu’on savait déjà et qui ne nous sert à rien. Je ne vous refais pas l’histoire du consultant et du berger : lisez là ICI.
En même temps, c’est fabuleux, vous demandez aux gens autour de vous comment ils voient l’avenir : et là, grand silence, trou noir, abyssale perplexité. Pas de visibilité, comme on dit. C’est le brouillard devant où c’est nous qui sommes aveugles ?


 Un coup ça va, un coup ça va pas. Pourquoi ? On ne sait pas. Où sont-ils passés nos conjecturistes, nos prévisionnistes, nos prospectivistes ? On ne les entend plus, il se terrent, perplexes. Plus on décortique l’histoire, moins on comprend le futur.
Alors, pour qu’une voix s’élève enfin du néant, je vais vous dire, moi, à quoi s’attendre dans les années qui viennent : à rien ! En effet, il ne va strictement rien se passer. On aura toujours plus de technos et toujours moins de temps. Les bidules seront de plus en plus petits, mobiles, rapides, communicants ; ils stockeront des téraoctets, ils vibreront en terahertz ; on en aura plein partout, dans les poches, sous la peau ; on saura tout sur tout instantanément. Bref, plus rien ne nous étonnera. Tout sera normal. L’homme s’ennuiera ferme, les robots hard et soft travailleront, créeront et penseront pour lui. On ira s’emmerder sur la Lune, histoire de passer le temps, on se mailera des petites vidéos en webcam : « T’as vu grand-père ? Il t’envoie un bisou depuis la Mer de Smuth ! » Et l’on rira bêtement avant d’aller se coucher. Elle est pas belle, la vie ?...
Faut faire quelque chose, on ne peut pas rester ainsi bâillants, bâillonnés, ballottés, bachi-bouzoukés, bras ballants…
J’ai une idée ! Si on se remettait à lire ? Tiens, des livres. Le livre, on n’a jamais fait mieux comme techno : c’est petit, c’est portable, ça se feuillette, ça stocke plein de data ; ça se prête et ça se rend, ça se pose et ça se reprend (non ce n’est pas du Claude François !). Le livre s’utilise autant de fois qu’on veut sans alerte DRM (*),  il n’a pas de nouvelle version toutes les deux minutes, il n’a pas besoin de hot-line, pas de batteries à changer, pas de bugs, pas de crash de disque dur, pas d’écran bleu sur nos nuits blanches, il est compatible avec toutes les marques de lunette. Il n’a pas de boutons Démarrer/Arrêter/Arrêter le système/OK/êtes-vous sûr ?/êtes-vous vraiment sûr ?... Les seules fenêtres qu’ouvre un livre sont celles de votre esprit… [Waouh, quelle chute !....]
(*) Digital Right Management

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