vendredi 25 mars 2005

Rencontre avec Roland Moreno, l'inventeur drôle, drôle d'inventeur

Morenolivres_3Aujourd’hui, le soleil entre à flots par les grandes baies de son bureau d’Innovatron, sur une petite place de Saint-Germain des Prés. Des piles de journaux, des livres partout (beaucoup de dictionnaires), le plus bel écran du monde (l’incroyable 30 pouces d’Apple) – et au mur, l’ignoble pelade d’Anémone dans le « Père Noël… ».
C'est un cadeau de Thierry Lhermitte... Au mur encore, des reproductions pro-format à 100 euros de Van Gogh et de grands maîtres italiens (photo 7) « j’adore ! » et des objets bizarres ici et là (voir son site).


Car nul visiteur ne peut échapper à la visite du « musée » :

- voici la « carte à puce » (photo 3) qu’il a présenté le 22 février 1974 à 20 banquiers ébahis :




Morenoecran_2une planche de bois avec des fils partout :
«
Ils ont été tellement estomaqués qu’ils en ont parlé au Tout Paris et
dès le lendemain, je recevais des propositions de capital-risqueurs. »
- voici la maquette de la calculatrice 4 opérations (photo 4).
« Mais qui rajoute 1 à chaque opération, je ne sais pas pourquoi. » Il me montre et je constate : 3 fois 3 égale 10…


Morenocareapuce_4« J’ai du construire un bloc électronique pour soustraire ce 1 mais les gens trouvaient ça moins marrant alors je l’ai enlevé. »
- voici le piano minuscule à 10 touches (photo 5)…
-
voici la machine à tirer à pile ou face (photo 6) : on appuie sur un
bouton, la diode s’allume, vert, rouge, ça dépend, « mais on peut
tricher, on bloque le bouton ici, tu vois » je ne vois rien « et hop,
c’est toujours rouge ou toujours vert. »


Morenomachineacalculerjpg_1Il l’a créée en 1968 pour un copain de L’Express, où il était coursier. Le copain en a parlé à ses copains Jean Yanne, Claude
Lelouch, Yves Robert… Et Gérard Sire, qui en a fait un film TV de 15
minutes. Du coup le régisseur de Claude Sautet l’appelle : « Je ne
savais pas ce qu’était un régisseur ni qui était Claude Sautet… Et il
veut me louer, me louer moi, mes objets, mes idées, tu te rends compte
! ».Finalement, il n’apparaît pas dans le film , on se demande pourquoi. Mais
la scène ou Michel Piccoli rentre dans la chambre de son fils dans «
Les Choses de la Vie » est entièrement inspirée de l’univers


Morenopiano_2d’alors de
Roland Moreno. « Et les dialogues c’est moi. » dit-il fièrement.
Notamment, quand Michel Piccoli demande à son fils en montrant la
fameuse machine : « Ca sert à quoi ? – A rien. – A rien ? – A rien ! » Cà, c'est du dialogue!
-
voici la machine ("Le Danseur") qui bouge au son de la musique : « Je
ne sais pas comment ça marche »  tu parles ! Mais ça marche. Les deux
petits anneaux montent et descendent le long de leur tige au gré des
notes et pas du volume…


Morenopileouface_1 Des projets fous mais faits, il en a plein ses cartons et ses ordinateurs : « Les Célimènes » est une suite de grands textes chantés sur une grande musique. La tirade de Célimène (Le Misanthrope, Molière) sur l’air du Clavecin bien tempéré (Bach), « A Paris » de Francis Lemarque sur l’Hymne à la joie (Beethoven), « Le Déserteur » de Boris Vian sur Asturias (Albeniz) « celui-là, on l’a fait le jour de l'invasion de l'Irak par les Américains. »En
fait, les textes sont enregistrés récités, parlés, par son compère
Sylvain Robert et ils sont modulés ensuite automatiquement en midi (une
extension QBase de Voice Machine).
Morenopeinture_2 « Voilà pourquoi Sylvain chante
parfaitement juste… » Je me disais aussi qu’il n’avait pas vraiment
l’air d’un chanteur professionnel…
Le jeu « Pignon », vous y jouerez tous
Et
donc, son dernier projet, en train de voir le jour : le jeu au nom de
code « Pignon » (pour O-Pignon…) breveté « aux Etats-Unis, c’est le
seul endroit où on peut breveter un jeu ; en Europe ils ne veulent pas
».
C’est une sorte de quizz, on joue sur internet, on répond à des questions comme celles-ci
ou encore : « Le courage est-il plus précieux que le légume ?(oui/non)
» .  « Ce ne sont pas des questions idiotes, attention ! « Le courage
est-il plus précieux que le légume », c’est pas pareil que « le courage
est-il plus précieux qu’une grille en fer forgé ! » Vous me suivez ? Et
si, à l’instant t, sa réponse correspond à celle qui arrive en tête de
toutes les réponses des internautes (c’est ça le sondage d’opinion), on
a gagné !
C’est, comme le souligne Florent,
une reprise de son jeu « Indécidables » mais avec un modus operandi
bien clair et un potentiel de très gros lots : « Sur certaines
questions, le calcul de probabilité est du même ordre que celui du PMU
! ».
Les contacts sont déjà pris avec les sponsors : voyages,
spectacles, cartes d’achat, le "ticketing" abonnements sur internet ou
téléphonie mobile, « tout ce qui ne coûte rien aux sponsors ! ».
L’interface
du jeu est purement graphique, on déplace à la souris des mots à
l’écran pour les mettre dans l’ordre souhaité. « L’idée m’est venue en
1974 : j’ai créé un jeu de « phrases mignonnes » pour ma fille de trois
ans où elle devait reconstituer la phrase à partir des mots ». La
première mouture du jeu a été écrite en 1983 pour l'Apple 2, puis par
Frédéric Lévy en 1985 (en Pascal) pour le Mac naissant « et il a
traversé toutes les générations de Mac sans aucune modification, c’est
ça le miracle du Mac. La seule chose qu’on a du faire c’est ralentir
volontairement le jeu parce qu’il finissait par aller trop vite avec
les nouveaux processeurs et on voyait la phrase-solution s’afficher
tout de suite sans avoir le temps de voir le déplacement des mots. » Le
jeu va être réécrit en juin « en Java-Script ou en Flash , je ne sais
pas encore » pour le monde PC.
Son prochain jeu ? Chut, top secret !
Il est miraculeusement simple et se joue avec Google, évidemment.  Je
ne peux pas vous en dire plus…
MorenorireVoilà,
je quitte à regrets le bureau gorgé de soleil et de souvenirs et je
décèle dans son regard comme un fond de tristesse... Mais pas à cause
de moi, bien sûr, je ne suis qu’un passant. Musicien qui ne peut plus
jouer depuis son accident de voiture il y a dix ans, divorcé chèrement
de son américaine de femme « j’ai du vendre des parts d’Innovatron ! »,
ancien journaliste qui regrette l’époque du marbre, amateur de mots et
d’histoires qui refuse encore de publier sur le web sa newsletter (Déliro pour Daily Roland, Délire, écrire à roland@moreno.net)
réservée pour l'instant à 85 destinataires privilégiés, il note ses
idées tout le temps – il lui faut en permanence un bout de papier et un
crayon à portée de main -  parce qu’il se méfie de sa mémoire, il pense
avec nostalgie à l’histoire industrielle cahotique de la carte à puce,
il s’intéresse à tout, il aime rire et faire rire. L’inventeur est
drôle. Et parfois triste? Et drôlement attachant.
PS : on a déjeuné
ensemble à son bureau, il a fait monter des plats du restaurant d’en
bas (canard pour lui, escalope pour moi, chablis pour tous les deux).
Je l’écoute captivé en mangeant sans faire attention. A la fin du
repas, il n’a pas touché à son assiette et il sourit : « J'espère que
tu as apprrécié parce que ce que tu as mangé, c'était mon plat ! » Voilà ce que c’est que d’écouter les gens trop intensément…


2 commentaires:

  1. Bonjour,
    Génial de rencontrer un personnage pareil et mille mercis de nous en faire profiter.

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  2. L'ordre serait dans le désordre ?
    Quoique je clame depuis deux ans que la force du blog est dans sa faiblesse, alors, pourquoi pas !
    Cordialement

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