On sait hélas que la théorie de l’information n’a pas fait beaucoup de progrès depuis son élaboration par Claude Shannon en 1949. Rappelons que c’est cette théorie qui a créé le bit, le binary digit et qui a donné naissance à l’informatique et aux télécoms (lire sur le sujet ma note précédente et ses commentaires).
C’est donc vers elle que l’on revient chaque fois que l’on se pose la question fatale, foetale : "finalement, c’est quoi l’information ?"
Pourtant, tout le monde est d’accord : on vit dans une « société de l’information ». Après l’ère de la vache (l’agriculture), l’ère de la cheminée (l’industrie) et l’ère du sourire (les services), nous voici dans « l’ère de l’information ». La preuve par l’absurde: nous sommes déjà sur-informés, saturés d’information : c’est le fameux COS (Cognitive Overflow Syndrom). Notre cerveau ne peut tout retenir !
Mais si vous posez la question, personne ne sait vraiment ce qu’est l’information, ce qui la distingue du fait, de l’événement, de la donnée, de la connaissance mais aussi de la rumeur, de la communication, du message…
Pour envenimer le débat, je vais donc m’atteler à développer une nouvelle théorie de la catastrophe sur l’information que je résume ci-dessous :
1/ L’information est une création.
Elle est unique, spécifique, donc rare et chère. Même si elle n'est pas physique, elle a un poids, elle a un prix.
C’est une ressource
produite par l’homme : elle n’existe pas à l’état de nature : «
révéler, étonner, raconter » était la devise des fondateurs du journal
Le Parisien. Elle est aussi synthèse et non pas simple juxtaposition,
empilement de points de vue. Chacun d’entre nous peut créer une
information, à condition qu’il respecte les règles de fabrication, à la
portée de tous et pas seulement des journalistes. Encore faut-il les
connaître et les appliquer. (On doit pouvoir faire un séminaire de
trois jours là-dessus : tiens un nouveau business !)
2/ L’information est vitale pour l’homme.
Sans
information, il perd son individualité et sa liberté. Il devient
décérébré. Elle lui est indispensable pour comprendre le monde dans
lequel il vit, c’est un input et un output de la connaissance :
- elle nous apprend quelque chose : l’information c’est la surprise ;
-
elle change notre vision des choses et donc nous permet de recréer
nous-même les conditions de la modification de notre environnement ;
vivre c’est s’adapter.
Ce sont les deux enseignements de base de la théorie de Shannon et des grandes théories de la communication.
L’information
est donc indispensable pour vivre libre et indépendant : la vraie
liberté n’est pas la liberté d’expression mais la liberté
d’information. Non pas au sens traditionnel, liberté de la presse, mais
au sens moderne : chacun peut et doit recevoir et créer son information.
=>
Et ma conclusion sera : si plus personne ne veut la payer et, surtout,
si plus personne n’y croit, plus personne ne pourra ou ne voudra la
créer.
Elle va donc mourir et sera remplacée par un magma formé de
deux substances : d’une part l’opinion, individuelle et collective – ce
que les sociologues appellent « l’inter-subjectivité - et d’autre part
la communication des groupes d’intérêt, qui ont de l’argent, un
savoir-faire de communication et des messages à faire passer.
L’homme
sera d’autant plus réceptif, de manière implicite, à ces messages,
qu’il aura par ailleurs l’illusion de la liberté, grâce à ses
possibilités illimitées d’expression. Il ne sera plus réflexif ni
créateur, il sera communiquant et consommateur.
C’est la victoire
d’une alliance improbable, celle de la cybernétique - prédite par
Norbert Wiener pour qui tous les objets du monde, qu’ils soient
humains, naturels ou artificiels se classent sur la même échelle de
valeur, uniquement en fonction de leur capacité à communiquer – et du
commerce.
Plus l’homme s’exprime, plus il se croit libre, telle est la terrible illusion de l’ère post-informationnelle.
Place
aux nouveaux gourous, polyglottes et technoïdes, qui donnent aux hommes
ces moyens d’expression et l’illusion de leur liberté.
L'information n'est pas en train de mourir. Mais ses régles de fabrication, de contrôle, de diffusion et de sélection sont en train d'être revue en profondeur. A lire sur ce sujet "L'autorité cognitive sur Internet"
RépondreSupprimerhttp://zeroseconde.blogspot.com/2005/03/lautorit-cognitive-sur-internet.html
par Martin Lessard.
« révéler, étonner, raconter » était la devise des fondateurs du journal Le Parisien.
Quand l'on t'il remplacé par "simplifier, effrayer, désinformer" ?
>Aurélien : merci pour le lien, très intéressant! enfin un jeune chercheur qui se penche sur le problème! Mais fait-il bien la distinction entre "information" et "connaissance"? (je n'ai pas encore tout lu!)
RépondreSupprimerPour le changement de devise: pitié! J'ai l'impression qu'il n'y a vraiment plus aucun moyen de sauver la réputation des journalistes! Je trouve ça triste, forcément. On dira que c'est leur faute... Mais, moi je connais beaucoup de journalistes qui continuent de bien faire leur boulot... Enfin... Comme il y a beaucoup moins de médias et de journalistes "traditionnels" que de blogs et de blogueurs, c'est effectivement plus facile de relever les erreurs des premiers que celles des seconds. A quand un bétisier de la blogosphère?
Sujet délicat Luc :-)
RépondreSupprimerFinalement, à force de lire sur ce sujet, j'en arrive à me demander si la question de l'information,finalement assez simple, est la bonne question.
Une question qui vient rarement sur le tapis est celui d'un journalisme critique voire une critique raisonnée du journalisme. De même, convoquer la cognition ou la cybernétique,sciences certes passionnantes,ne nous éloigne-t-il pas un peu du sujet? Ou alors quid de la sociologie et de la sémiologie...Après tout le rapport à l'information (journalistique)est avant tout affaire de culture.
N'est-il pas souhaitable de revenir aux fondamentaux ?
Ne nous laissons pas gagner par l'amertume:-)