[Chronique de Lucien Toscane à paraître dans un prochain magazine]
"Dans une affaire, il y a toujours un pigeon. Si vous ne savez pas qui c'est, c'est que c'est vous."
Proverbe américain.
Comment, vous ne connaissez pas Stew Leonard? Sacré bonhomme, pourtant! Il a fondé la chaîne éponyme de supermarchés du Connecticut, devenue célèbre par ses deux tables de la loi taggées sur un bloc de pierre à l'entrée de chaque magasin: "Règle numéro Un: le Client a toujours raison. Règle numéro Deux: si par hasard le Client a tort, relisez la Règle numéro Un." Seth Godin, le gourou américain, donc mondial, du marketing, ne jure que par eux.
J'imagine un client arrivant à la caisse et disant en comptant sa monnaie: "Vous me devez 100 dollars". Il a tort, bien sûr. Mais que doit faire la caissière?
IF Règle numéro Deux, GO TO Règle numéro Un: elle lui donne 100 dollars…
Puis elle appelle les flics qui le chopent dehors quand il n'est plus un client mais un escroc. Ensuite, l'indélicat est fiché sur la liste noire et il ne sera plus jamais client de Stew Leonard. Ainsi, le supermarché peut continuer à sourire et les deux règles à s'appliquer.
Idem pour le spam: si vous envoyez à un copain un e-mail qui parle de tai-chi (c'est la première fois que vous en parlez) et que vous recevez d'un inconnu le lendemain une proposition pour un stage d'initiation, c'est normal. D'autant que "cet enchaînement a été créé par Maître Chen Xiao Wang, héritier du style Chen, 19ème génération, en 1985…" Ce n'est pas du spam, c'est du service d'information ciblé. Mais, au fait, à part votre copain, qui sait que vous avez parlé de tai-chi? Demandez à votre fournisseur d'accès. La réponse m'intéresse parce que, pour une fois, mon histoire est totalement véridique...
Bref, l'important dans la vie, c'est de respecter les formes, la
charte, les règles. Qu'importe le vin, pourvu qu'on ait la bouteille.
Bien propre, bien étiquetée.
Vous achetez le dernier bidule high-tech:
tant pis s'il ne marche pas, du moment qu'on vous a fourni le mode
d'emploi. La hotline est toujours encombrée? Pas de problème du moment
que le numéro de téléphone existe. En fait, il n'y a pas de hotline, il
n'y a qu'un répondeur qui diffuse du Vivaldi 7/24 mais çà, personne ne
le sait. "Peut-être, en réalité, sommes-nous morts" s'interrogeait déjà
Platon. Ce n'est pas grave du moment qu'on continue à faire comme si
nous étions vivants, lui répondraient en chœur Seth Godin et Stew
Leonard, nos nouveaux philosophes.
L'envie me démange d'aller faire un tour dans un supermarché du
Connecticut: j'entrerai dans le magasin avec le bloc de pierre dans les
bras, je déballerai toutes les marchandises, j'engueulerai tous les
vendeurs, je goûterai tous les aliments en faisant "beurk". Puis, grand
seigneur, je passerai à la caisse pour un bonbon de 20 cents avec un
billet de 100 dollars…
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