[Une nouvelle de Lucien Toscane]
Le train de banlieue était bondé. Partout, des étrangers revenant du château de Versailles. A l'étage, je somnolais, fatiguée. Une toux discrète me dérange; je lève un œil et entraperçoit une petite japonaise, ou supposée telle, sans âge, penchée sur moi comme une geisha. Elle me bredouille des choses incompréhensibles, pas un mot de français ni d'anglais, du moins à ce que j'entends. Et moi qui ne sait dire que sayonara! Finalement, prise d'inspiration, elle me montre le plan des lignes de chemin de fer qu'elle tenait à la main et pointe une station, là où elle veut descendre sans doute. Par gestes, j'essaie de lui expliquer que çà tombe bien, je descends juste avant et je lui ferai un signe pour la prévenir que c'est la prochaine. Apparemment, elle me comprend car elle m'adresse un grand sourire et se lance dans des salutations répétées, le corps cassé en deux comme une poupée mécanique. Elle s'en va, rassurée, trottinant sur ses petits pieds et descend au niveau bas.
Je m'engonce dans ma somnolence et n'en sort qu'à l'approche de ma station. Je me lève en sursaut, dévale les marches quatre à quatre, m'engouffre dans le couloir où je l'ai vue disparaître et là, stupéfaction! Que des japonaises, ou supposées telles, partout, visages sans âge et petits yeux noirs, caquetant assises bien droites sans bouger. Une rame entière peuplée de japonaises! Elles se ressemblent toutes, non bien sûr, mais c'est que je me dis, idiote. J'ai le vertige. Certaines me regardent distraitement, d'autres me tournent le dos, je ne les vois pas. Le train commence à ralentir. Je me rue dans l'allée, scrutant les visages à droite et à gauche, comme un contrôleur cherchant un resquilleur. J'en vois une là-bas qui me sourit: est-ce elle? Non, elle détourne la tête. Le train s'arrête dans son crissement infernal, les portes s'ouvrent dans leur pfuff puissant, il faut que je descende. Je regarde le train partir, honteuse, sans avoir retrouvé ma petite japonaise aimable. La prochaine fois, je regarderai mieux les gens.
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