mardi 8 novembre 2005

Réinventer la presse écrite, c’est facile ! En réponse à Philip Meyer

« L’information, ça eut payé mais ça ne (se) paie plus » (anonyme)


Il faut se faire une raison : l’information est désormais un bien gratuit. Ce ne sont pas les éditeurs de presse qui l’ont décidé, ni les journalistes, on s’en doute, c’est le public. Du moins, une partie du public, celui des internautes. Mais c’est ce public-là qui impose sa loi au marché. Pensons à ce critique intello de théâtre qui disait : « Ah bon ? Le public a aimé la pièce ? Il est bien le seul ! »
Il est temps de tourner la page d’un modèle économique obsolète, celui où il fallait payer pour avoir une information de qualité. Ce modèle n’était d’ailleurs pas si glorieux ; certains esprits caustiques ne se privaient pas de comparer l’info au rayon « frais » d’un supermarché : ça se digère mal et ça se périme vite.


Faire table rase du passé est toujours plus facile quand la table est déjà débarrassée. Pour les éditeurs en place, dotés de structures historiques lourdes, et manquant souvent d’audace (dixit Philip Meyer), c’est nettement plus difficile…Mais ils ont une marque qui existe sur laquelle ils peuvent capitaliser.


La solution, c’est évidemment la révolution.


Les éditeurs doivent redéfinir leur rôle en oubliant comment ils sont organisés aujourd’hui et en se fixant un plan d’actions basées sur les réponses à une seule question : « Quels sont les dix services que je veux rendre à mon lecteur ? » (sous-entendu : services d’information sur lesquels je suis le mieux placé au niveau des compétences de mes équipes de rédaction)


Quel que soit le domaine couvert, généraliste ou spécialisé, on trouvera rapidement quelques points communs.


On pourrait dire, par exemple :



Moi, éditeur d’une information indépendante et de qualité, je veux pouvoir:
1/ donner à mon lecteur tous les jours les dix infos dont il a besoin, et décliner ensuite la périodicité de mes parutions en fonction d’infos spécifiques à cette périodicité et en fonction de mes catégories de lecteurs;
2/ lui donner la possibilité d’accéder à mes infos réactualisées, en tout lieu, à tout moment, sous toute forme que ce soit : stratégie de multimédia total non-stop;
3/ le guider partout où je peux lui être utile, parce qu’il a confiance en moi, et le plus loin possible, y compris vers des actes d’achat et de consommation, si je le décide ;
4/ connaître très précisément toutes mes catégories de lecteurs (selon le modèle de diffusion gratuite qualifiée de la presse américaine) ;
5/ ne jamais lui faire lire deux fois la même chose sur deux supports différents ;
6/ renforcer à la fois la spécificité et la complémentarité du web et du papier : au web, l’immédiateté, la base de données, l’interactivité, l’hyper-lien, le zapping ; au papier, la sensualité, l’originalité, la linéarité ; et offrir au lecteur/internaute des renvois de l’un à l’autre dans tous les sens ;
7/ discuter en permanence avec mes lecteurs, recueillir avis, opinions, critiques, suggestions ;
8/ organiser mes équipes de rédaction en fonction de domaines de compétences et non pas d’un type de media ; un journaliste (de presse écrite) n’est plus un auteur de contenu écrit, il est un auteur-producteur de contenu multimédia qui publie directement son contenu dans le media approprié, comme le fait aujourd’hui n’importe quel blogueur ;
9/ généraliser le style d’écriture web sur tous mes médias puisque c’est l’écriture la plus lue ;
10/ imprimer du papier à la demande, en quantité, en adresses de destinataires et en périodicité variables.
Ce ne sont que quelques exemples...
Quand on sait ce qu’il faut faire, c’est déjà plus facile !
Ensuite, il suffit d’admettre la réalité d’un des paradoxes les plus étonnants du web : il est à la fois l’outil de marketing client le plus élaboré qui ait jamais existé et, en même temps, l’outil le plus préhistorique de source de revenus, basés exclusivement sur la pub, la pub, la pub.
Par rapport aux nobles schémas de revenus multi-sources dont s’enorgueillissaient certains éditeurs (abonnements, ventes kiosque, petites annonces, etc.), c’est effectivement primaire.
Mais la pub sur le web n’a plus rien à voir avec la pub traditionnelle des médias de masse : elle est elle-même devenue un outil hyper-sophistiqué de communication ciblée, avec des tarifs évolutifs. De toute façon, l’argent n’a pas d’odeur, disait l’empereur Vespasien, inventeur des latrines publiques.
Notre nouvelle définition est donc la suivante :
« L’éditeur de presse écrite n’est plus un éditeur d’infos payantes sur papier à destination d’un public restreint qui lui assure une partie de ses revenus, l’autre partie étant assurée par un public restreint d’annonceurs :  il est un fournisseur de services d’information multimédia à destination d’un large public d’abonnés gratuits et référencés auxquels s’intéresse un large public d’annonceurs. S’il décide d’aller jusqu’à un service d’aide à l’achat, il peut aussi toucher des revenus de ce service. »
Réinventer la presse écrite, comme le demande Philip Meyer, c’est facile : il suffit qu’elle reste ce qu’elle est sur le fond (créatrice d’une information indépendante et de qualité) et qu’elle oublie tout ce qu’elle a été sur la forme et dans son organisation. Alors, on y va ?
PS: lire aussi "The Future Of News"

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