lundi 5 juin 2006

S'il te plaît, dessine-moi une info

"Redéfinir l'information"


C'est une chronique que je publie aujourd'hui dans Les Echos.


Je continue mon combat pour une certaine idée de l'info...


Extrait:


"S'il te plaît, dessine-moi une info...


Si le Petit Prince revenait visiter notre société, il nous demanderait sûrement d'esquisser les contours de cette « information » aussi obscure dans sa définition que valorisée dans les discours..."


Mise à jour : le lien des Echos étant rompu, voici mon texte original:


 "S'il te plaît, dessine-moi une info…"
par Luc Fayard


Si le Petit Prince revenait visiter notre société, il nous
demanderait sûrement de lui dessiner cette "information", aussi
obscure dans sa définition que valorisée dans les discours.


Et l'on aurait
autant de mal à la crayonner que son mouton. Car chacun y met ce qu'il veut. Pour
les uns, c'est le JT de 20 heures qui donne "les infos" (alors qu'un
JT c'est 1 400 mots, disait Bruno Masure, soit une colonne de quotidien)… Pour
les autres, c'est un renseignement pratique : "file-moi l'info".




Jean Baudrillard (1981): « Nous vivons dans un monde où il
y a de plus en plus d’informations et de moins en moins de sens ».

A
l'origine, elle est judiciaire: on instruit une information contre quelqu'un
(et on le fait plus ou moins bien si l'on en juge l'affaire d'Outreau…) Sa
théorie mathématique n'a pas bougé d'un bit depuis qu'elle fut formulée par son
auteur Claude Shannon, en 1948: la quantité d'information dans un message est
inversement proportionnelle à la probabilité d'apparition de ce message. « Le
propre de l’information est de nous apporter un élément décisif et de nous
surprendre. » dit fort justement Edgar Morin.




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On la confond souvent avec la communication et c'est normal:
donner une info, c'est aussi transmettre une intention, au grand dam des écoles
de journalisme qui ne jurent que par l'objectivité. Pourtant, mettre en forme,
c'est déjà prendre parti, évidemment. Pour les journalistes, l'info, c'est ce
qui est dans le journal, CQFD. Ah bon? Y compris la pub et les petites
annonces, alors?... Enfin, l'information a de plus en plus une acception
biologique, avec le développement de la recherche sur les gênes et l'ADN.


Si l'on en croit les gourous autoproclamés des blogs, wikis
et autres réseaux sociaux, l'information est même devenue une sorte de
connaissance universelle, gratuite et collaborative. Fin du vieux système
pyramidal où le savoir descendait d'en haut – église, savants, politiques,
presse – vers le bas peuple. Voici la nouvelle ère circulaire de l'info par
tous et pour tous. La république de l'information. Société, autoroutes, sommet
mondial, tout s'y accole. Avec un petit air de fête high tech en prime puisque
les nouvelles transmissions de l'information sont essentiellement numériques.
D'où la confusion grandissante entre le fond et la forme, caricaturée par le développement
exponentiel des blogs.


Alors de quoi parle-t-on? Fait, renseignement, donnée,
rumeur, opinion, événement, idée, pensée, savoir, connaissance? C'est quoi, une
info? Et surtout, ça sert à quoi? C'est en essayant de répondre le plus
précisément possible à ces deux questions que l'on sortira de l'impasse conceptuelle
et des débats stériles. Chacun d'entre nous devra pouvoir décider, en
connaissance de cause: ceci est de l'info, ceci n'est pas de l'info.


Premier élément : le contenu et sa valeur. La théorie
économique de base - la valeur d’un bien dépend de sa rareté – ne va pas nous
aider puisque l’information est par essence un bien dont la valeur croît en
proportion de sa diffusion ; plus on partage l’information, plus elle se
développe. Une information que personne ne connaît n’a pas de valeur, elle
n’existe pas: « S’il y a un bruit dans la forêt et qu’il n’y a personne dans la
forêt, il n’y a pas de bruit. » dit Peter Drucker. Ou mieux: « Esse est percipi
», exister, c'est être perçu, disait l'évêque Georges Berkeley en 1710.


Parfois, c'est l'inverse: disposer d’une information rare
peut donner un avantage compétitif dans le business. La valeur de ce
renseignement est forte, non par l’échange mais par l’usage que je vais en
faire; je ne vais surtout pas le négocier, je vais l’utiliser en grand secret.


Quoi qu'il en soit, l’analyse par le prix de revient n’est
pas applicable: la valeur ajoutée de l’information n’est pas dans son coût de
reproduction (souvent voisin de zéro) ni dans sa valeur d’échange (puisque
beaucoup d’infos sont gratuites) mais bien dans sa valeur d’usage : c’est
ce que je vais faire avec cette information qui va déterminer sa valeur.


Ce qui est certain, c’est que l’économie mondiale, portée
par les TIC, dématérialise un nombre croissant de biens et services. Elle incorpore
donc une part de plus en plus importante d’information dans son PIB. Mais à
l'instar de la théorie de Shannon, le nombre de bits d'un message est un
indicateur insuffisant de sa qualité intellectuelle et de son utilité.


Bref, la valeur économique de l'information est réelle mais
toujours aussi difficilement mesurable!


Deuxième élément : le cerveau, le processeur. N'oublions pas
que ce cerveau est d'abord une formidable machine à oublier. Aucune information
ou connaissance ne peut être tenue pour acquise. Nous sommes en situation
permanente de concurrence cognitive (que nous reste-t-il de nos savoirs
scolaires?). Tous les processus mentaux sont des mécanismes de sélection et
d'élimination. Et lorsqu'on cherche une réponse à une question, on a tendance à
s'accrocher à celle qui à la fois nous satisfait et nous demande le moins
d'effort intellectuel (principe de pertinence). L'homme n'y peut rien, il est
fait comme cela!


Alors, sur la base de ces deux éléments – un contenu à  valeur réelle mais difficilement mesurable et
un processeur imparfait - , voici mon essai d'une nouvelle définition :
"L’information est une forme de renseignement sur des faits ou des idées, issue
d'un travail intellectuel méthodique repérable, portée à votre attention à un
moment et dans des circonstances donnés, dont vous avez besoin ou que vous
pensez être utile pour vous, dans votre vie, et dont le but est d'améliorer
votre compréhension du monde et même pourquoi pas de vous rendre heureux."
Définition ambitieuse mais qui devrait nous permettre de faire le tri,
notamment sur internet.


Conclusion: il n'y a pas d'info brute, il n'y a que de
l'info raffinée. C'est un processus qui prend du temps, qui passe par des
étapes obligatoires, bien connues des journalistes (validation, véracité,
fiabilité, recoupement, etc.). Elle est tout sauf un hasard de la pensée. Elle
n'a rien à voir avec la rumeur ou l'opinion, rien à voir avec l'outil qui la
produit. Elle a besoin d'un peu de temps pour prendre forme et de recul pour
exister. Elle n'est pas temps réel et ne le sera jamais. Elle est une vraie
richesse de l'humanité, qu'il ne faut pas galvauder.


Voilà ce que j'aimerai savoir dessiner pour le Petit Prince…

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